Le Colloque International « La traduction et les traducteurs dans le contexte colonial : Rôles, fonctions et récits »
A l’occasion du soixante-dixième anniversaire du déclenchement
de la glorieuse révolution algérienne
Premier novembre 1954- novembre 2024,
Le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle
Unité de Recherche en Traduction et Terminologie
Organise
Le Colloque International
« La traduction et les traducteurs dans le contexte colonial :
Rôles, fonctions et récits »
03 et 04 novembre 2024, Oran
Préambule
Le projet colonial a accordé, parmi ses objectifs expansionnistes, un statut à la traduction ; ses fonctions et stratégies d’usage se sont multipliées, selon les contextes du projet et des récits contrastés. Le récit de la vie elle- même (Barthe, 1977, 79), provoquant affrontements, tensions, conflits et guerres (Mona Baker, 2018, 41), explique les manifestations du phénomène colonial qui atteint son apogée en 1938 lorsque l'Europe coloniale, avec 1,3 pour cent de la superficie, étendue pour contrôler 41 pour cent des terres habitées en Afrique, en Asie et en Amérique (Etemad, 2000, 258) ; et justifie l’adoption de la traduction comme un instrument essentiel de l’opération coloniale et ses contextes.
Une analyse diachronique de ces contextes met en lumière l’imbrication intrinsèque entre la traduction et l’entreprise coloniale, dès la phase pré-occupation, quand les missions missionnaires instrumentalisaient la traduction pour peaufiner le christianisme et dénigrer les religions ancestrales au service du projet colonial (Bandia, 2005, 959); Outre la traduction des références culturelles des territoires visés par l’occupation, cette démarche constituait une phase préliminaire à l’invasion militaire (Messaoudi, 2010, 1).
Pendant l’occupation, la traduction s’est muée en un instrument de domination, dans la mesure où elle avait été formellement structurée au sein de l’institution militaire (Mopoho, 2001, 7). De l’oralité à la scripturalité, les cultures ancestrales ont été traduites, considérant les autochtones comme primitifs et belliqueux, dans le cadre d’une comparaison éternellement renouvelée avec la figure idéaliste de l’homme blanc, paré des vertus de la civilisation et de paix (Cheyfitz, 1991, 115). Ces opérations de traduction ont donné naissance à une stratification linguistique au sein de laquelle les idiomes des puissances coloniales ont prévalu, reléguant au second plan, voire éradiquant, les langues des populations autochtones (Boulanger et Chagnon, 2015, OIC.ca). Après l’indépendance politique des colonies, les études postcoloniales ont démontré comment la traduction était utilisée pour produire et reproduire des différences de capital symbolique et sa capacité à les transformer en différences scientifiques et économiques entre cultures productrices et consommatrices, la traduction s’est toujours érigée en institution fondamentale, servant de levier aux projets impériaux et expansionnistes, tant dans le passé que dans le présent (Baker, 44).
Les études postcoloniales ont également révélé que la traduction est une condition essentielle pour achever le militaire à travers le politique, dans un contexte de tensions entre des nations linguistiquement différentes (Baker, 43). C’est ainsi qu’elle s’est dotée de plusieurs fonctions, dont les plus importantes nous semble être la traduction comme outil d’espionnage : elle peut être représentée par la tentative de traduire le livre «des Exemples » d'Ibn Khaldun dans le contexte colonial, réalisée à la demande officielle du gouvernement français (1840-1863), dans le but de dévoiler les fragilités et les faiblesses qui minaient la population de la région (Lacoste, 1998, 9). De manière similaire, la traduction comme un projet d’identité : relevant les préférences et les valeurs des auteurs. Les traducteurs irlandais par exemple, en traduisant les textes britanniques, ont tendance à ignorer le discours dominant leur culture et à le remplacer par un discours reflétant leur propre culture, avec une fierté qui en est le reflet (Tymoczko, 1999, 82). Par ailleurs, la traduction comme un outil de résistance: se manifeste dans l’adoption par les traducteurs indiens d’une stratégie, baptisée la « traduction contre- hégémonique », permettant de transposer des œuvres anglaises dans un langage qui reflète leur propre identité culturelle, défini comme « l’anglais indiens » (ramakrishna et Nehru 2000).
La multiplicité des fonctions assignées à la traduction, dans le contexte colonial, met en lumière la responsabilité du traducteur dans la production du discours traductionnel. La théorie postcoloniale, au sens de Homi Bahbah, insiste sur « le troisième espace », permettant d'accomplir l'acte de traduction loin de la dualité du dominant et du dominé (Bahbah, 1994). De son côté, la théorie narrative, sous l’égide de Mona Baker, a mis en avant l’importance de prendre en compte la position changeante des traducteurs par rapport aux textes, aux auteurs et à l’idéologie dominante (Baker, 27). Cette perspective souligne la nécessité de considérer la façon dont ces relations évoluent et se reflètent dans le produit traduit, qu’il soit oral ou écrit.
Il semble clair que la traduction a une influence décisive sur le processus colonial, avant, pendant et après l'occupation militaire. Jusqu'en 2000, soixante-dix pour cent de la population mondiale avait un passé « colonial », soit en tant que colonisateur, soit en tant que colonisé. (Etemad, 258), et selon la relation transitive, on peut supposer que plus de soixante-dix pour cent de la population mondiale ont été touchés, et le sont peut-être encore, par le prisme de la traduction, ce qui commande une attention accrue à son sujet. D'où l'importance
d’organiser un Colloque international, prenant pour point de départ l’éveil des consciences quant au rôle de la traduction dans l’érosion de la narrativité dominante « l’Occident, centre du monde », afin de débattre de la relecture de l’histoire de la traduction dans ce sillage de la décolonisation, ainsi que de la possibilité de corriger les transgressions et outre- passements historiques engendrées par les traductions à la solde du colonialisme (Medjahed, 2019, 89). Ainsi, alors que l’Algérie commémore le soixante-dixième anniversaire du déclenchement de la révolution de libération victorieuse, le colloque international se penchera sur les expériences de traduction à travers les continents, à la lumière de la théorie postcoloniale selon Homi Bahbah et de la théorie narrative selon Baker, pour tenter de comprendre comment la traduction a été mise au service du projet colonial ? Quelles sont les approches traductologiques qui ont été adoptées par les traducteurs et interprètes ? Comment le discours traductionnel a-t-il influé sur les cultures de l’occupant et l’occupé ?
Axes du colloque :
- La traduction dans le projet colonial : Comment la traduction était-elle un outil stratégique omniprésent dans tous les projets coloniaux à travers l’Histoire ? Quels sont les traits distinctifs de ces stratégies ? Comment a-t-elle été utilisée pour servir ou non ce projet ?
- La traduction et la relation de légitimité entre les langues : Comment a-t-elle façonné l’histoire complexe des interactions entre les langues des colonisateurs et celles des colonisés ? Comment a-t-elle contribué à définir, à institutionnaliser et à hiérarchiser les langues des colonisateurs et des colonisés, en créant ainsi des hiérarchies linguistiques et culturelles ? Quel est son rapport avec les processus de marginalisation, et d’extinction des langues ? Comment la traduction n’a-t-elle pas pu protéger des langues qui n’existent plus ?
- Le traducteur et l’interprète dans le contexte colonial : C’est qui le traducteur et l’interprète dans ce contexte ? Comment il a été formé et employé ? Quels sont les approches translationnelles adoptées par les traducteurs en fonction de légitimité des langues et de l’authenticité des cultures ? Comment ont-ils été jugés pour leur implication ou non dans le projet colonial ? Quel est le statut social du traducteur et de l’interprète au sein du groupe d’appartenance ? Qui sont les personnalités marquantes dans le domaine de la traduction et de l’interprétation ?
- Le discours traductionnel postcolonial : Quel est le degré de conscience concernant le rôle de la traduction dans la consolidation ou la remise en question de la narrativité dominante, « Le centre du monde étant l’Occident » ? Comment les traducteurs et interprètes postcoloniaux se situent-ils entre la culture d’origine et la culture colonisatrice ? Quelle est l’efficacité de la théorie narrative de Baker et de la théorie postcoloniale de Bahbah en termes de limitation et de résistance à la narrativité dominante ? Comment les traductions postcoloniales contribuent-elles à valoriser et à enrichir la culture dominée ? Quels sont les mérites des traductions postcoloniales dans la réduction de l’écart entre les cultures actives et les cultures subordonnés ?
Conçu par Keltouma AGUIS Directrice de l’Unité
Traduit par Dr. Hasna NEDJLAOUI
Références
- بيكر منى(2018)، الترجمة والصراع: حكاية سردية، ترجمة طارق النعمان، المركز القومي للترجمة، القاهرة.
Bandia. Paul (2005), Esquisse d’une histoire de la traduction en Afrique, Meta Journal des traducteurs 50(3), p 957-970.
Barthes. Roland (1977), Essays Selected And Translated By Stephen Heath, Fontana Press.
Boulanger. Pier-Pascale, Chagnon. Karina (2015), Traduction, altérité et résistance dans le contexte colonial canadien, Montréal: OIC, Uqam, https://oic.uqam.ca/mediatheque/traduction-alterite-et-resistance-dans-le-contexte-colonial-canadien
Cheyfitz. Eric (1991), The poetics of imperialism: translation and colonization from the tempest to Tarzan. New York: Oxford University Press.
Etemad. Bouda (2000), L'Europe et le monde colonial. De l'apogée des empires à l'après-décolonisation, Revue économique, n° 51-2, pp. 257-268.
Hubert. Claudine (2004), Traduction et présentation du texte "L'engagement envers la théorie", de Homi Bhabha,. Masters thesis, Concordia University, https://spectrum.library.concordia.ca/id/eprint/8188/
Lacoste. Yves (1998), Ibn Khaldoun: naissance de l’histoire, passé du Tiers-monde. Paris: la Découverte.
Medjahed. Milouda (2019), «Traductions coloniales et (post)coloniales à l’épreuve de la neutralité». Dans Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre? Sous la direction de Laurence Brière, Mélissa Lieutenant-Gosselin et Florence Piron, chapitre 6, pp. 81-93. Quebec: Éditions science et bien commun.
Messaoudi, Alain (2010), « Entre érudition et colonisation, de Slane éditeur et traducteur d’Ibn Khaldoun (1840-1868) ». Dans Figures d’Ibn Khaldûn: réception, appropriation et usages: Actes du colloque international organisé à Alger les 17, 18 et 19 juin 2006. Alger: Editions du CNRPAH.
Mopoho. Raymond (2001), Statut De L'interprète Dans L'administration Coloniale En Afrique Francophone, Meta Journal des traducteurs, vol. 46, no 3, p. 615-626, https://open.unive.it/hitrade/books/MopohoStatut.pdf
Ramakrishna. Shanta, et Nehru. Jawaharlal (2000), « Cultural Transmission Through Translation: An Indian Perspective ». Dans Changing the Terms. Translating in the Postcolonial Era. Sous la direction de Sherry Simon et Paul St-Pierre, p. 87-100. Ottawa; University of Ottawa Press.
Tymoczko. Maria (1999). Translation in a Postcolonial Context. Early Irish Literature. Manchester: St. Jerome Publishing.
Participation
Les résumés de communication (environ 4000 caractères, espace compris) accompagnés d’une courte bibliographie, sont à envoyer à l’adresse suivante :
Dates importantes
- Réception des résumés : avant le 31 Aout
- Notifications d'acceptation des résumés : 8 septembre 2024
- Réception des textes finaux : 8 octobre 2024 (date limite)
Comité scientifique :
- Pr. Mohamed Korso, Historien et membre de la Commission Nationale sur l'Histoire et la mémoire Algérie
- Pr. Saïd Boutadjine, Enseignant de traduction, traducteur, romancier et critique, Université de Mostaganem Algérie
- Pr. Keltouma Aguis, Directrice de l'Unité de Recherche en Traduction et Terminologie URTT / CRASC Algérie
- Pr. Mustapha Tidjet, Directeur du Centre de Recherche sur la Langue et la Culture Amazighes, CRLCA Algérie
- Pr. Djazia Fergani, Enseignante de traduction et Directrice de l'Institut de Traduction, Université d'Oran 1 Algérie
- Pr. Chakib Benhafri, Historien, traducteur et Directeur du Laboratoire d'études et de recherches sur le patrimoine ottoman en Algérie Algérie
- Pr. Saïda Kohil, Traductrice, Responsable du Laboratoire de Traduction et d'Enseignement des Langues, Université d'Annaba Algérie
- Pr. Mohamed Chawki Zine, Enseignant de philosophie et traducteur, Université de Tlemcen Algérie
- Pr. Amar Mohand Ameur, Historien, Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle CRASC Algérie
- Pr. Malika Rehal, Historienne, Directrice de l’Institut du temps Présent, CNRS, CRASC France
- Pr. Malik Tahar Chaouch, Sociologue, Institut d'études historiques et sociales, Université de Veracruzana Mexique
- Pr. Reda Mami, Enseignant de littérature espagnole, traducteur, et membre de l'Académie nord-américaine de littérature mondiale contemporaine Tunisie
- Pr. Djamel Abdel Rahman, Enseignant de traduction et traducteur, Centre national de traduction Égypte
- Pr. Maria Pilar Garrido Clemente, Enseignante d'études arabes et islamiques et traductrice, Université de Murcie Espagne
- Pr. Yolanda Guardi, Enseignante de langue arabe et de traduction, Université de Macerata Italie
- Pr. Antonio Rey, Enseignant d'Histoire Islamique, Nouvelle Université de Lisbonne Portugal
- Pr. Luis Miguel Peraz Cañada, Enseignant de traduction et traducteur, École des traducteurs, Tolède Espagne
Comité d'organisation
- Dr. Kheira Sehaba, Chercheur, Unité de Recherche en Traduction et Terminologie URTT, CRASC
- Dr. Reda Abi Ayad, Chercheur, Unité de Recherche en Traduction et Terminologie URTT, CRASC
- Dr. Hassna Nadjlaoui, Enseignante et Traductrice Officielle, Université de Khenchela.
- Dr. Karima Bouras, Enseignante et Traductrice, Université de Mostaganem.
- Sabrine Badra Fahas, chargée de l’information scientifique et technologique, CRASC
- Fadéla Abdennour, chargée de l’information scientifique et technologique, URTT, CRASC
- Yamina Saket, chargée de l’information scientifique et technologique, URTT, CRASC.
- Ahmed Boukraa, chargé de l’information scientifique et technologique, URTT/CRASC
- Salima Nait Ali, chargée de l’information scientifique et technologique, URTT, CRASC
- Soumiya Belessbat, chargée de l’information scientifique et technologique, URTT, CRASC
- Yasmine Bensahli, chargée de l’information scientifique et technologique, URTT/CRASC
- Amina Boutaleb, chargée de l’information scientifique et technologique, CRASC Abdelwahab Bourguigue, chargé de l’information scientifique et technologique, CRASC
- Hamid Abed, chargé de l’information scientifique et technologique, CRASC