A rural urbanity: About the evolution of socialist villages
From 01/07/2016
To 30/06/2019
Project supervisor : SOUIAH Mehdi
Team members:
MOUAZIZ-BOUCHENTOUF Najet
MARHOUM Farid
REBAI Samir
TAIEB BRAHIM Ali
Problématique
Nous ne reviendrons pas sur une thématique qui a eu ses heures de gloire dans les cercles académiques, celle liée à la paysannerie et à la crise de l'agriculture en Algérie. La question a été traitée, et sous différents angles. Depuis la célèbre étude menée par le tandem Bourdieu-Sayad[1], les données de cette enquête n'ont cessé d'être actualisées, même si la tendance des études rurales s'est quelque peu essoufflée ces deux dernières décennies. L'une des raisons de cet essoufflement est liée -cela n'est qu'une hypothèse, qui, soit dit en passant, reste loin du propos que nous souhaitons, ici, développer- à la croissance urbaine, du fait des mouvements de populations et du développement des villes. Une dynamique qui a eu un impact considérable sur l'orientation de la considération universitaire de la réalité socio-économique du pays. Le titre de D. Hadjidj : « Du rural délaissé à l'urbain convoité »[2], portant sur les mouvements migratoires des campagnes vers les villes peut très bien s'appliquer à la dynamique de recherche académique et à l'orientation des études sur la population et l'environnement ces vingt/trente dernières années.
Quant à notre intérêt il portera sur un projet de société qu'on lui donna le titre de « Révolution agraire », et plus particulièrement sur les vestiges (ou ruines) de celui-ci, à savoir « les mille villages socialistes » , soit les éléments constituants de la dite révolution, comme dirait Ripault-Megerand. Nous partons d'une série de questions toutes simples, mais qui méritent d'être posées :
[Question (s) de départ] Que reste-t-il des villages socialistes des années 70 ? Que sont-ils devenus ? Et quel est le profil sociologique de la population qui les occupe actuellement ?
La mise en place du « projet de société » qu'est la « Révolution agraire » a été accompagné d'une série d'études et d'analyse en tous genres. Mis à part la masse de mémoires de fin d'étude et de thèses dans différentes disciplines en sciences économiques et sociales, on a eu droit à des textes dans lesquels on l'avait pensé comme concept, certains écrits de M. Lacheraf en attestent ; décrit comme réalité ethnographique, par Fanny Colonna[3] entre autres ; il y a eu même une autopsie de la mort de l'agriculture considérant les villages socialistes comme autant de ruines d'un projet ambitieux, mal pensé au départ et mis en place de manière bancale par la suite. C'est le cas du chapitre consacré au secteur agricole dans le célèbre pavé publié sous le pseudonyme de Tahar Benhouria[4].
Si l'on suit le raisonnement de ce dernier (A. El Kenz de son vrai nom), ce projet de société, avec ses mille villages socialistes, fut un échec. Mais là encore, la ruine de l'agriculture n'incombe pas au seul projet de développement initié par le président Houari Boumedienne, mais il faudrait peut être noter que la révolution agraire n'est qu'une phase ultime d’un processus enclenché un siècle auparavant. En effet, selon P. Bourdieu et A. Sayad la crise de l’agriculture que connaîtra l’Algérie indépendante est dû à la politique coloniale entreprise à l’encontre des « indigènes » en les privant de leurs terres, les éloignant de leur milieu, les plaçant dans un autre. Et dans l’effort d’adaptation, l’adaptation de leur savoir-faire à la nouvelle réalité qui leur a été imposée, il y a eu perte d’une grande part du savoir-faire référentiel[5]. Nous dirons même que l'échec était annoncé, Benhouria n'en a fait que la chronique.
Un processus qui débute avec le lancement du projet de construction des mille villages socialistes. Dans la contribution de Ripault-Megerand à l’Annuaire de L’Afrique du Nord, nous pouvons lire que parmi les objectifs de la Révolution s’y trouvait celui visant d’ « assurer la promotion sociale et culturelle des masses rurales par l'amélioration de leurs conditions de vie et leur insertion dans le progrès économique et social »[6]. Seulement cette mission, « noble » en apparence, avait pour conséquence la ruine de l’agriculture, du moins ce qu’il restait du savoir faire agricole ancestral.
[Hypothèse] Tout porte à croire qu'on s’était pris au problème de la mauvaise manière, on s’était posé les mauvaises questions, conséquence : L’agriculture avait demeuré en crise, pire encore, on avait donné l’occasion à la ville de récupérer le reliquat de la paysannerie. Ceux qui n'ont pas choisi de quitter le village, ont opté, en revanche, pour son mode de vie. N'était-elle pas l'une des visées principales de ce projet de société, et le lot de représentations qui la sous-tendait ?
En effet, selon Benhouria une méprise (ou une incompréhension) serait à l’origine de l'échec de cette politique de développement. Comme l’explique cet auteur on avait méprisé les paysans, et aussi, cela va sans dire, leur mode de vie, ainsi il avait écrit : « Les paysans sans terre, les paysans pauvres et moyens qui sont les premiers concernés par les réformes envisagés n’ont à aucune occasion été associés aux discussions, ne serait-ce qu’à titre consultatif »[7]. A l’origine du mépris une somme de clichés qu’on avait accolés (et qu’on accole encore de nos jours) aux paysans dont étaient porteurs les instigateurs de la politique du développement. Par mimétisme, sont reproduits des agissements, des pratiques, des réactions, ceux du colon condescendant à l’égard de l’indigène qui croule sous le poids de la tradition, inculte et ignorant, incapable de réfléchir/décider par lui-même[8]. Pour illustrer ses propos Benhouria se réfère à un bilan d’activité datant de 1972 établi par la Commission Nationale de la Révolution Agraire (CNRA) où le paysan est représenté comme ignorant, luttant pour sa survie au moyens de modes d’exploitation archaïques, incapable d’effectuer « le saut qualitatif qui requiert de sa part l’adhésion à une entreprise qui va bouleverser radicalement le mode de vie et les conditions de travail à la campagne »[9]. Ainsi, on a voulu développer le secteur agricole en procédant à un changement du mode de vie de ses ouvriers. On a tenté d’aligner le mode d’existence des ruraux, cheville ouvrière de l’entreprise, à celui des urbains, considérant que ce dernier incarnait la « normalité ». Le mode de vie urbain était devenu un critère de développement, on avait placé l’homo-urbanus au sommet de l’échelle de l’évolution, et par la même assener les coups qui ont fini par avoir raison de l’agriculture et de la paysannerie. On agissait et on réfléchissait, dans les cercles de décision, en urbain qu’on était devenu[10]. La ruralité comme mode d’être et de vie n’avait, quant à elle, plus sa place dans l’Algérie indépendante qui trace son chemin vers le développement.
On notera que des intellectuels tel le cas de M. Lacheraf se sont vus confiés la mission d’assurer la promotion de ce « projet de société », visant, du moins en théorie, à améliorer les conditions de vie des algériens en les urbanisant. Cette volonté apparaît dans l’un de ses textes publiés en 1972, Lacheraf déplorant la situation des villes algériennes avait écrit : « [la ruralisation des villes] pose le grand problème des structures de la vie algérienne dans sa totalité, de leur indispensable remodelage et extension, s’agissant d’une société humaine qui est passée en un siècle et demi environ à côté de transitions multiples qu’elle n’a pu dépasser avec succès jusqu’à l’aboutissement d’un itinéraire normal et dont le processus contrarié, ou perturbé ou bloqué, est cause de cet état semi-urbain sans cesse inachevé et de cet autre état paysan figé dans les pires archaïsmes et la mort lente »[11]. La sortie d’une telle crise résidait, selon la logique des porteurs de la révolution, dans l’amélioration des conditions de vie d’une société, qu’on disait, fragilisée, précarisée et ruinée, victime de l’injustice coloniale, ce qui avait appelé à « l’institution urgente d’un cadre d’accueil à l’échelle nationale qui rendra plus clémente et productive la vie dans les campagnes qu’on aura débarrassées, au préalable, de leurs aspects infra-humains et de la hantise perpétuelle du chômage, de la maladie, de la faim et de l’abandon et qui, en revanche, permettra aux villes de s’organiser pour de bon selon des structures municipales actives capables de créer et de stimuler les conditions urbanistiques les plus rationnelles[…] »[12].
Mettre sur pied une « Révolution sociale », telle était la finalité du projet de société qu’on avait baptisé « Révolution agraire » et qu’on présentait comme l’unique « réalité agissante susceptible de transformer le pays et préparer le terrain au succès des autres choix fondamentaux –culturel et industriel- de la Révolution algérienne et du socialisme »[13]. On avait peut-être échoué dans la mission de développer le secteur agricole, mais on avait brillamment transformé le mode de vie rurale. Produisant ainsi un scénario tout juste sorti des pages du Droit à la ville, celui de l’espace urbain, devenant centre de décision qui, « attaque la campagne, la corrode, la dissout.[…]La vie urbaine [qui] pénètre la vie paysanne en la dépossédant d’éléments traditionnels : artisanat, petits centres qui dépérissent au profit des centres urbains (commerciaux et industriels, réseaux de distribution, centre de décision, etc.). Les villages se ruralisent en perdant la spécificité paysanne. Ils s’alignent sur la ville mais en résistant et en se repliant parfois farouchement sur eux-mêmes »[14].
Retenons, pour finir, que la révolution agraire comme concept était sous-tendu de l'idée de transformer le mode de vie des paysans, des ruraux. Ses éléments constituants, les villages socialistes n'étaient que les formes matérialisées de celle-ci, un outil qui rendrait sa réalisation possible. Le but de cette étude est donc de sonder l'efficacité de cet instrument de transformation du mode de vie. Comment ces villages ont-ils affecté le mode de vie de leurs habitants ? Comment ont-ils évolué ? Comment doit-on considérer leurs habitants ? Des urbains ? Des ruraux ? Qu'est-ce qui justifie, aujourd'hui, leur urbanité ou leur ruralité ?
Ce que nous entendons par urbanité et ruralité c'est tout ce qui a trait au mode vie, soit comment les habitants des villes et des campagnes vivent et pratiquent leur espace au quotidien. Si le mode de vie urbain est assez bien définie concernant la réalité urbaine algérienne. Le mode de vie de la campagne contemporaine reste à définir. Et c'est en partie la visée de ce projet.
[1] Bourdieu P. ; Sayad A., Le déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Minuit, Paris, 1964
[2] Hadjidj D., « Du rural délaissé à l’urbain convoité », in. Collectif, Espace-population (actes de séminaire, université d’Oran, 04/2002), Dar El-Gharb, Oran, 2002
[3] Dans un texte qui ne manque pas de pertinence portant le titre : « La ville au village (Transfert de savoirs et de modèles entre ville et campagnes en Algérie) », in Revue française de sociologie, vol XIX, 1978, pp. 407-426
[4] Benhouria T., L’économie de l’Algérie, Maspero, Paris, 1980
[5] Bourdieu P. ; Sayad A., Le déracinement : op. Cit.
[6] « Les villages socialistes en Algérie », in. Annuaire de l’Afrique de Nord, 1975
[7] Benhouria T., op. cit, p. 164
[8] Ibid., p. 165
[9] Cité par Benhouria, ibid., 165
[10] Ou, qu’on l’était déjà, Bruno Etienne fournit la précision suivante : « Les fonctionnaires et les politiques qui s’y installèrent [dans les villes, Alger principalement, en 1962], viennent pour la plupart du Maroc. Ils y ont acquis d’autres habitudes urbaines. Comme tous les cadres algériens récupérant le pouvoir à Alger en 1962. Ils ont en partie subi d’autres modèles occidentaux mais pas spécialement en Algérie qu’ils ont quitté pour la plupart « à la fleur de l’âge » ». « Le flou urbain », in. Annuaire de l’Afrique du Nord, volume XI, 1972
[11] Lacheraf, M., « Le sort lié des campagnes et des villes dans le développement de l’Algérie »,( Séminaire Révolution agraire, Institut de Technologie Agricole, Mostaganem, Avril 1972) in. El-Djeïch, Aout 1972
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Lefebvre H., Le droit à la ville, 3ème éd., Economica, 2009, p. 66-67